L'amour

C’était il y a très longtemps, le Masque et la Plume était encore animée par Jérôme Garcin ; en fait c’était en aout 2023. Au cœur de l’été, Anne et moi étions au théâtre de l’Alliance française pour y assister à un double enregistrement. Je crois que c’est Arnaud Viviant qui a le premier exposé tout le bien qu’il pensait du livre de François Bégaudeau : avec vigueur, avec enthousiasme mais aussi avec une espèce de tendresse communicative. D’emblée, j’ai été convaincu et j’ai acheté l’ouvrage. Pour quelle raison insensée ce livre est-il resté sur mon chevet une année entière sans que je l’ouvre ? Certainement pas par peur de ne pas pouvoir le finir : 90 pages, ça devrait pouvoir se lire en un week-end… Toujours est-il que j’en ai commencé la découverte récemment : un soir, une dizaine de pages. Le lendemain j’ai dû recommencer au début, j’avais oublié. Le surlendemain, je progressais lentement, la narration me semblait poussive et les personnages sans épaisseur. Et puis, je n’ai pas pu m’arrêter. Arrivé à la fin, la nuit était bien avancée, j’ai repris au début et tout relu dans la foulée en deux heures ! Et j’ai compris ce qu’Arnaud Viviant disait et pourquoi je ne l’avais pas perçu jusqu’alors…

Ce petit livre est d’une densité incroyable. Cinquante années de la vie d’un couple, tout simplement. Mais c’est bien plus que cela. Ce qui fait la force de ce livre c’est son unité stylistique. On ne peut pas regarder un film de Tavernier par quart d’heure. On ne peut pas saucissonner L’Amour de Bégaudeau. Tout d’abord parce que la flèche du temps s’impose. L’auteur est à la manœuvre pour nous faire ressentir les durées et les étapes, il a jalonné le parcours de balises (l’annonce de la mort du Président Pompidou, le bug de l’an 2000…) et son énumération des chambres de l’hôtel nous rend concrète chaque rencontre entre les deux amants. La simplicité du sujet n’est qu’apparente : le livre renferme des sortes de liens hypertexte – le prénom Clémence, le cerf dans la forêt, le MiG-21… - propices à des flashbacks vertigineux. Peut-être Bégaudeau a-t-il aussi placé d’autres liens, inavoués ceux-là, vers d’autres œuvres artistiques : ainsi le personnage de Nicole m’a fait penser soudainement à une autre Nicole, incarnée par Sabine Azéma dans le film de Chatiliez Le Bonheur est dans le pré

Alors, bonheur, amour, tendresse se mêlent entre l’auteur, ses personnages et le lecteur.

François Bégaudeau. L’Amour. Editions verticales, 2023, ISBN : 978-2-07-302916-4, 14,5 €.

Date de dernière mise à jour : 04/11/2024